Il était une fois un garçon et une fille qui vivaient
dans un château. Un peintre était le propriétaire de ce château ; il en
avait hérité de son grand-oncle, mort d’un accident de chasse. Le peintre avait
des goûts de luxe, et il dédaignait le château ; il préférait vivre dans
une chambre de bonne à Paris. On le voyait de temps en temps, quand il avait
envie de passer quelques jours à la campagne ; les deux enfants le
voyaient arriver dans une voiture de sport, une Porsche flambant neuve qui, aux
yeux du petit garçon, ressemblait à un suppositoire. On ne sut jamais quel lien
de parenté l’unissait aux deux enfants. Il les avait trouvés, dans la forêt
d’après le garde-chasse ; deux petits loups-garous, blottis l’un contre
l’autre, endormis dans la bouillasse, un soir de pleine lune. Plutôt que de
transformer le grand château dont il n’avait que faire en un de ces
relais-châteaux très vulgaires, qu’on loue à des parvenus pour qu’ils s’y
gobergent avec leurs amis (ou plutôt avec leurs relations), l’artiste peintre
l’avait offert pour terrain de jeux aux deux enfants sauvages, après leur avoir
sommairement appris à lire et à écrire.
Le garçonnet et la fillette ne sortaient presque
jamais du château. Ils jouaient à cache-cache dans les quatorze pièces, vides
comme il se doit, ou bien encombrées de vieilleries telles que le portrait de
l’arrière-grand-tante du peintre
célibataire. Parfois ils s’aventuraient dans le parc. Ils se cachaient derrière
les buissons en forme de losanges, de triangles (le peintre était franc-maçon)
ou de formes géométriques inconnues, dans les deux allées parallèles
qu’enjambaient les charmilles. Les deux enfants s’amusaient aussi à se
déguiser, ainsi que tous les enfants ; le garçonnet endossait l’armure de
chevalier toute rouillée qui se trouvait dans la salle d’armes ; sa sœur
revêtait la peau de panthère servant de descente de lit dans la chambre du
peintre, et poussait des rugissements et des cris aigus.
Ils faisaient ainsi toutes sortes de bêtises,
s’amusaient beaucoup et s’ennuyaient parfois, mais ils étaient toujours heureux
d’être ensemble, vous pouvez me croire. Tout ce que j’ai appris des deux
enfants, c’est eux-mêmes qui me l’ont raconté après leur mort – car c’est
ainsi, les deux enfants sont morts. Ça vous choque ? Attendez d’entendre la suite.
Vous apprendrez comment et pourquoi ils sont morts.
Le peintre faisait partie de plusieurs associations
importantes, afin de pouvoir continuer à vendre ses toiles et à exposer. Bien
entendu, le peintre était rentier, et n’avait pas besoin de vendre ses
peintures pour vivre ; mais il était né mondain et n’arrivait à respirer
que l’air saturé d’alcool des vernissages et des cocktails ; il ne digérait que
les petits fours et les pains-surprise – c’est ce qui avait déterminé sa vocation
d’artiste peintre. Du reste il ne peignait presque jamais. Un soir, le soleil
se couchait, tout orange au-dessus du parc du château, et le peintre arriva
dans l’allée centrale, au volant d’une Ferrari rouge comme du sang, qu’il
conduisait comme un fou. Il pila, juste à temps pour éviter de renverser une
des statues qui se dressait devant les escaliers menant au porche. Il sortit de
la voiture ; il avait une mine lugubre. Il portait, comme toujours, une
veste en tweed marron et son béret basque un peu incliné sur l’oreille, pour
prouver qu’il était artiste peintre.
- Mes enfants, j’ai à vous parler sérieusement, dit-il
dès qu’il fut sorti de la Ferrari rouge sang.
Les gamins le regardaient en se tenant par la main.
Ils étaient sortis pour l’accueillir, comme d’habitude, aussitôt que le garçon
avait aperçu la voiture, par une des immenses fenêtres du château.
- Je reviens d’une réunion de l’Organisation des
Peintres unis pour la Liberté, dit le peintre. Une petite sainte-nitouche assez
vicieuse m’a fait comprendre que si je voulais rester le peintre le mieux côté
de l’Organisation des Peintres Unis pour la Liberté, je devais me débarrasser
de vous, les enfants. Les orphelinats sont faits pour accueillir les mômes
sortis de nulle part. Un célibataire comme moi, se voulant excentrique, à la
sexualité douteuse, ne peut pas se permettre de laisser deux gosses livrés à
eux-mêmes dans sa propriété. Je n’ai pas le choix.
Les enfants n’eurent pas le temps de pleurer. Ils furent
placés dans deux familles d’accueil différentes. La fillette épousa son nouveau
père adoptif, un ivrogne qui la battait ; le garçon mourut sous les coups
d’un singe. Il avait été recueilli par le patron d’un cirque. Ce dernier, un
romanichel qui se faisait appeler Monsieur Loyal, et se promenait toute la
journée en tricot de corps en buvant de la bière, avait confié au garçon un
drôle de travail. Ce travail consistait à remonter le moral d’un orang-outan
dépressif, qui était la principale attraction de ce cirque assez miteux. Un jour,
le singe eut la mauvaise idée d’apprendre la boxe, sous l’influence de Monsieur
Loyal, et le petit garçon, je le crains, servit de punching-ball à
l’anthropoïde déchaîné.
Mais tout ceci a peu d’importance. C’est peu après que
je fis la connaissance des enfants. La fille venait de se suicider, à moins que
son mari ne l’ait rouée de coups avec plus de vigueur que d’habitude. Je venais
moi-même de passer de vie à trépas, sans m’en apercevoir. Pendant mes derniers
mois, les médecins n’avaient cessé de me répéter que je malmenais mon foie. Je
ne le prenais pas tout à fait au sérieux ; j’aimais trop le vin et le
chocolat. Je ne veux pas trop parler de moi mais j’y suis bien obligé pour vous
dire comment j’ai connu les deux enfants. J’avais donc passé beaucoup de temps
à m’ennuyer dans cette chambre d’hôpital. Quand je suis mort, je ne me suis
rendu compte de rien. Ma femme s’obstinait à pleurer, comme une hystérique,
alors que j’étais toujours à ses côtés. Elle ne paraissait ni me voir, ni
m’entendre et restait comme ça, le visage tout chiffonné, assise près de mon
lit vide dans la chambre d’hôpital, puis chez nous, dans le living room
faiblement éclairé par cette lampe à abat-jour que sa mère nous a offerte, en
mordant son mouchoir. Lassé de ses jérémiades, je suis sorti me promener.
Le paysage familier que composent les quelques arbres
aux branches dénudées, les pavillons de banlieue tous identiques, protégés par
des haies, qui s’offrit à mes yeux quand je fus dehors, je ne le reconnus pas
tout de suite. Il avait quelque chose de différent des autres soirs. La lune
était pleine, elle brillait comme une pièce de monnaie dans le tablier d’un
avare. Nous étions en janvier, mais je ne sentais pas le froid, bien que je
n’eusse que l’informe blouse verte dont on revêt les pensionnaires de l’hôpital
sur mon dos.
Ne ressentant ni fatigue, ni la moindre envie de
rentrer chez moi pour retrouver ma femme et son humeur sinistre, je me sentais d’attaque
pour marcher pendant des kilomètres - j’avais beau sortir de l’hôpital, j’étais
en pleine forme. En un clin d’œil je me retrouvai dans l’espèce de bidonville
qui s’étend aux confins des faubourgs, après la zone pavillonnaire dans
laquelle, ma femme et moi, vivions depuis vingt ans, puis dans une plaine que
je n’avais jamais vue de ma vie, un no
man’s land hérissé de quelques buissons aux rameaux flétris. C’est là que
j’ai aperçu les deux enfants pour la première fois.
Ils se tenaient par la main comme ils en avaient
apparemment l’habitude. Ce n’est pas cela qui me choqua… Non loin d’eux, je
distinguai une forme qui se découpait sur le ciel noir, puis les accords d’une
chanson inconnue…
Un squelette jouait de la mandoline sous la lune. Les
deux enfants, blonds et aveugles, s’approchaient de lui en se tenant toujours
par la main, fascinés. J’étais terrifié. C’était bien un squelette, aux os
luisants, qui se tenait debout sur la plaine, et non, comme je le crus tout
d’abord, un homme très décharné, semblable à ceux qui jouent dans le métro pour
récupérer quelques pièces – ici, personne à qui demander de l’argent... La mort
avait ôté toute expression aux yeux de l’étrange musicien, devenus gouffres
béants ; sa bouche ricanait de cette hideuse menace impersonnelle agitée
souvent par les cauchemars, mais ses mains aux doigts rigides pinçaient toujours
les cordes de son instrument, et malgré moi j’étais enchanté par la mélodie
qu’ils jouaient.
Je m’approchai de lui à mon tour, je rejoignis les
deux enfants. J’avais envie de les toucher. Indifférents à ma présence, ils
fixaient leurs yeux aux prunelles vides sur le virtuose, et je voulais caresser
leurs cheveux qui tiraient sur le blanc, comme ceux des albinos. Cette fois je
ne doutai plus : j’étais mort. Ou alors, je rêvais. J’allais me risquer à effleurer
les cheveux de la fille ; le musicien cessa brusquement de jouer ! Il
jeta son instrument par terre et le foula aux pieds. Il ne cessa pas de le
piétiner avant qu’il fût en miettes. Nous reculâmes tous trois, effarés. Je fus
ravi que le garçon et la fille, qui jusque-là me snobaient et manifestaient un
stoïcisme vexant à la vue de ce fantôme, eussent la même réaction de terreur
que moi devant la brutalité soudaine et inexplicable dont il faisait preuve. Un
rayon de lune tomba sur lui ; je vis qu’il avait changé d’aspect ; il
portait maintenant une cape à la Zorro, et arborait un visage tombant de
vieillard, d’une maigreur toujours cadavéreuse. Des yeux brillaient dans ses
orbites.
- J’ai un travail à te confier, me dit-il quand il eut
fini de détruire l’instrument dont il venait de sortir des sons magnifiques. Tu
n’as pas fait grand-chose dans ta vie. Je vais te donner une ultime occasion de
te rendre utile.
La besogne qu’il souhaitait me confier, à l’entendre
était fort simple : je devais prendre les rênes d’une charrette, et aller
trouver chez lui un artiste peintre, le père adoptif des deux enfants,
l’obliger à monter avec moi dans la charrette et le ramener ici, sur cette
plaine, de gré ou de force.
- Et s’il résiste ? demandai-je au vieillard.
- N’aie crainte, il te suivra. On ne peut pas résister
toujours, répondit-il avec un ricanement désagréable.
L’instant d’après, il secoua puérilement sa cape, et
une charrette de paysan du siècle dernier apparut, attelée d’une rosse
cadavérique. Un peu de poussière me piqua les yeux ; le vieillard avait
disparu. Ne restaient plus, à mes côtés, que le jeune garçon et la jeune fille,
qui semblaient avoir recouvré la vue. Malgré mes craintes, je sentis que je
devais obéir. Je grimpai dans la charrette, suivi des deux enfants. Ceux-ci
prirent place près de moi sur le coche. Je n’ai jamais eu le permis de
conduire, je ne sais même pas faire du vélo et je n’ai pris qu’une seule leçon
d’équitation dans ma vie ; j’étais surpris de manier si bien les rênes de
l’attelage. Cependant je m’aperçus bien vite que la jument n’avait pas besoin
d’être conduite ; elle savait très bien où nous allions, et elle
connaissait le chemin. Aussi laissai-je tomber rênes et fouet et m’abandonnai-je
complètement. Les deux enfants me racontèrent toute histoire de leur vie ou,
pour être plus précis, je la devinai ; depuis mon trépas j’avais acquis
certains dons, et notamment celui de
faire défiler, pour mon seul plaisir, tous les souvenirs de n’importe qui devant
mes yeux, comme les images d’un film - avant peu, je connus par cœur tous les
détails de l’existence des enfants et de leur père adoptif le peintre. Je me surpris à
haïr ce dernier, sans véritable raison. Ce qu’il y avait de plus grave, c’est
que je voulus délaisser ma mission. Après tout, que m’importait de faire mourir
cet imbécile ? Qu’est-ce que j’en avais à faire de conduire cet idiot dans
l’au-delà ? La vérité, c’est que j’étais en train de tomber amoureux de la
petite fille - de l’amie du petit garçon. Elle n’était plus précisément une
enfant, et ne ressemblait guère à l’idée qu’on se fait d’une morte. Obéissant à un désir qui venait à peine de
s’ébaucher dans mon esprit, la jument s’arrêta au milieu d’un chemin de
campagne désertique. Le garçon manifesta l’envie de s’isoler pour aller uriner
dans un bosquet. L’aube allait poindre ; les chouettes ululaient encore.
Dès que je fus seul avec la fille, je lui pris les
mains et lui fis des déclarations d’amour passionnées. Elle me regardait avec
des yeux indifférents ; ses pupilles translucides, à demi noyées dans le
blanc glauque de l’iris, étaient à peine visibles ; elle était redevenue
aveugle, et sourde par la même occasion, si j’en croyais le silence étonné, stupide,
qu’elle opposait à mes déclamations. Ah, je comprenais son ami, le jeune
garçon, et je comprenais aussi son tuteur, qui l’avait épousée, et la battait
comme plâtre… Elle était vraiment irrésistible ! Je l’aurais bien battue,
moi aussi. Elle n’était plus une fillette depuis longtemps, mais une
femme ; ses seins triomphaient sous la robe d’été qu’elle portait, une
robe toute blanche - ses tétons menaçaient d’en percer le tissu. Et puis cette
froideur ! Et puis cet air dédaigneux ! Je la renversai sur le siège
et commençai à l’embrasser sur la bouche. Vous vous attendez peut-être à ce que
je vous dise que ses lèvres étaient froides, et coupantes comme des
glaçons ? Eh bien, pas du tout ! Elles étaient brûlantes et suaves.
- Laisse-moi tranquille, dit-elle enfin en tournant la
tête, pour échapper à mes baisers.
- C’est moi que tu aimes, lui répondis-je. Tu ne le
sais pas encore, mais tu m’aimes. Pourquoi crois-tu que l’autre idiot soit allé
pisser ? Pour me laisser le champ libre ! Il s’incline. Je suis le
plus fort, et il le sait ! Sois donc raisonnable, toi aussi. Accepte de
partir avec moi, et de le laisser ici.
- Mais c’est impossible ! Et le travail qui t’a
été confié, qu’est-ce que tu en fais ? Tu ne peux pas tout laisser choir
de cette façon.
- Bien sûr que si !
- Qui donc mènera notre père adoptif au pays des morts
? C’est toi qui as été désigné pour cette mission !
- Je m’en fous éperdument. Je me fous de tout,
en-dehors de tes beaux yeux d’aveugle et de tes petits seins.
- Tu n’as donc aucun sens des responsabilités ?
- Les responsabilités, m’écriai-je. Quel âge peux-tu
avoir ? Je croirais entendre mon père ! Les responsabilités ! Je me suis laissé empoisonner la vie avec ce
mot pendant des années. A présent c’est fini, et bien fini, plus question de « responsabilités. »
Je suis mort, je vais enfin pouvoir profiter de la vie !
- Mais c’est absurde… complètement absurde ! dit-elle.
- La logique est une invention bourgeoise, mise au
point pour faire croire aux gens qu’ils peuvent tout comprendre, et tout
contrôler. Ce que nous vivons toi et moi est-il conforme aux préjugés que tu
entretenais sur la mort ? Je suis censé être mort et pourtant je bande comme un
chien, quand je t’embrasse je peux sentir le sang qui me vient aux lèvres…
La jeune fille ne répondit pas. Elle boudait.
Je m’écriai :
- Depuis ta naissance, tu es cocue. Le Destin t’a fait
naître dans une forêt, avant de t’enfermer dans le château de ce vieil égoïste,
de ce vieux mondain pitoyable ! Tu n’as pas envie de tenter, enfin, ta chance,
comme on dit – au moins d’essayer ?
- Il y a trop d’obstacles, trancha-t-elle,
mélancolique.
Je perdis complètement mon sang-froid.
- Tu es une idiote ! Une idiote ! Une
idiote ! criai-je. Quels obstacles vois-tu sur cette route déserte ? Il
n’existe plus aucun obstacle – pas
même la peur de mourir ! Je peux t’emmener avec moi n’importe où. Viens donc !
Nous serons heureux…
- Où veux-tu m’emmener, imbécile ? explosa-t-elle
à son tour. C’est grotesque. Tu es
grotesque. Le cheval ne t’obéira pas. Tu pourras le fouetter pendant des heures
– pendant des siècles si tu veux, il a tout son temps-, il ne bougera pas
d’ici. Son maître l’a chargé de te mener jusqu’à mon père, il n’ira nulle part
ailleurs.
- Eh bien, que ce maudit canasson aille se faire
foutre ! Avons-nous besoin de cet attelage ridicule - de cette charrette
de bois vermoulu, dont mon arrière-grand-père n’aurait pas voulu pour
transporter du foin ? Nous allons prendre le train, le bus,
l’autocar ! Un avion, pour nous en aller le plus loin possible ! Nous
irons même à pieds s’il le faut !
- Je ne te conseille pas de descendre de cette
charrette. Crois-moi, tu n’irais pas loin.
Je voulus l’embrasser pour la faire taire. Alors, je
sentis un souffle glacé sur ma nuque. Nous n’étions pas seuls. Je me tournai
vivement ; j’aperçus un hideux visage ricanant, à demi corrompu ; le
squelette musicien se dressait de toute sa hauteur, près de la charrette. Cette
fois il était vêtu d’un suaire à moitié déchiré, derrière lequel on pouvait
voir ses côtes saillant sous sa peau verdâtre, et ses mains brandissaient une
faux ! Dès qu’il croisa mon regard, il leva cette faux, à deux mains, dans
l’intention de l’abattre sur nous !
- Attention ! m’écriai-je, puis je poussai, d’une
bourrade, ma compagne au fond de la charrette, avant de reculer d’un bond. La
faux du vieillard nous avait manqués de peu. Je la vis passer, en sifflant, à
un centimètre de mon ventre, et s’abattre sur le coche. Le vieillard jura
furieusement, et leva de nouveau son arme, dans l’intention d’essayer une fois
encore de m’en frapper. Je ne lui en laissai pas le temps. Exaspéré, je sautai
à terre et lui envoyai, de toutes mes forces, mon poing dans la figure – dans
ce qui lui servait de figure. Mon coup de poing le décapita. Son crâne s’en
alla rouler dans les fougères qui poussaient sur le bord de la route. Son grand
corps s’affaissa dans un bruit d’ossements ; la faux alla se planter
quelque part, dans la terre molle.
Sentant que je n’avais pas intérêt à m’attarder par
ici, je sautai de nouveau dans la vieille charrette à foins. La jeune fille me
regardait d’un air effaré. Surexcité, je poussai un cri aigu et l’attirai vers moi
en la prenant par la taille ; saisissant, de l’autre main, les rênes et la
cravache dont je cinglai le dos squelettique de la vieille jument, je braillai :
- Hue !
Et la vieille rosse partit au galop immédiatement.
- Mais où est-ce qu’on va ? s’écria la jeune
fille.
- Peu importe, répondis-je, du moment qu’on y
va !
Ma voisine écarquilla les yeux, incrédule. Ses cheveux
volaient ; elle se retourna, et regarda longuement derrière elle,
paniquée, puis la route, devant nous, en ouvrant toujours de grands yeux ; je
la trouvais bien émotive pour une morte. Le soleil se levait, tout rose,
enveloppé de nuages gris. Les naseaux, les flancs du cheval exhalaient des
nuages de buée glaciale. Pendant quelques secondes, je me demandai moi aussi ce
qu’allait devenir le jeune garçon. Et puis je l’oubliai complètement, ainsi que
l’homme à la faux, dont je venais de faire voler le chef d’un bon coup de
poing.
Merveilleux conte ! J'adore. J'ai pris beaucoup de plaisir à le lire.
RépondreSupprimerUn véritable dépaysement que ce conte ... comme si on avait accès à une nuit agitée par un rêve ... certainement dû à l'ambiance fantastique . Bravo pour la fluidité de l'écriture et l’étrangeté du récit !
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