mercredi 29 mai 2019

Sardines... Poèmes de Laurent Robert















Sardines

Je feuillette les héroïnes 

Dickinson ou Tsvétaïéva 
Douleur du verbe et puis s'en va 
Le temps d'avaler mes sardines
La vie peut se montrer radine 

Mais qui sait la joie qui creva 
Dans Amherst ou Ielabouga 
Et l'exaltation cristalline ?
Je lis alouette ou corbeau 

Et pense à la fin du corps beau 
Déchiré de passions nocturnes
Je vois majuscule et tiret 

Dans une strophe sans regret 
Ni agitation de cothurnes


Jeudi


C'est le poème du jeudi 

La bouche la plus fureteuse 
Ne se conquiert que le jour dit 
Sinon reste close et boudeuse
C'est le poème contredit 

De la passion infructueuse 
Frottis d'épiderme à crédit 
Une après-midi cauteleuse
L'attente noire du cou blanc 

Aiguillonne le verbe lent 
Aux longues heures de la semaine
La chair se donne au temps calé 

Tout maigre pouvoir en allé 
Dans le kitsch d'une cantilène


Mons (Ikea)


Un corps se colle se décolle 

Soit ! Tu fonces à Ikea 
Rachètes draps et casseroles 
Triomphes du moche aléa
Tu apprécies la scandinave 

Poésie ! Tomas Tranströmer ? 
Non ! Mais la boulette suave 
Remplace les 17 dikter

Le décor est littérature 

L'oreiller la lampe le mug 
Tout te raconte et te rassure 
Ta vie sera neuve et sans bug
(Après Juliette c'est Léa 

Que tu conduis à Ikea)




vendredi 17 mai 2019

La Bête du labyrinthe - nouvelle de Jérémy Gouty





Il était une fois une épouvantable bête, qui vivait dans un souterrain. Le souterrain avait de nombreux couloirs et de nombreuses pièces, il était très grand et occupait le sous-sol d’un bel immeuble parisien du XVIe arrondissement, de style art déco. Des anges artistement sculptés exhibaient leurs fesses de pierre au-dessus du porche.

La bête qui habitait le sous-sol n’était pas exactement une bête, mais un être humain au visage de bête. Elle était née de l’union de deux sœurs jumelles. Cela paraît inconcevable, mais c’est ainsi.

Les deux sœurs étaient les filles d’un chimiste célèbre. Depuis longtemps, elles rêvaient de coucher ensemble, quand elles se décidèrent à le faire pour de bon. Ce sommet de narcissisme atteint, elles échangèrent un dernier baiser puis se souhaitèrent bonne nuit avant de regagner leurs chambres. Le lendemain, la plus jolie et la plus sotte des deux, que nous appellerons la cadette, parce qu’elle était née cinq minutes après sa sœur et que son tempérament était moins vif, commença de ressentir des nausées. La cadette, pas plus que l’aînée n’avait connu de garçon ; elle refusa de croire qu’elle pouvait être enceinte. Les nausées continuèrent ; elle alla s’acheter un test dans une pharmacie, et puis… et puis le test s’avéra positif. Elle continua de refuser de croire qu’elle était enceinte – elle le refusa tant et si bien qu’elle laissa filer la date légale pour se faire avorter. Notre sœur jumelle enceinte fut prise de panique, et d’une frayeur quasiment superstitieuse. Son aînée la rassura, en lui caressant le visage.  

- Nous allons passer quelques jours en Suisse, dit-elle, et voila tout.

Ce disant, elle souriait à sa cadette d’un air à la fois doux, jaloux et incrédule.

Les deux sœurs s’en allèrent immédiatement à Zurich, non sans avoir discrètement pris rendez-vous dans une clinique privée. L’aînée jugea plus sage de faire le voyage en automobile ; son père venait justement de lui offrir une Ferrari mauve, pour son anniversaire. Soit dit en passant, le chimiste donnait alors une conférence à Hambourg, et elle avait bien l’intention de lui taire ce voyage en Suisse, et surtout ses motivations. Il était vingt et une heures quand les filles s’en allèrent. La cadette, angoissée, ne cessait de jurer à sa sœur qu’elle n’avait jamais, jamais connu de garçon, en sanglotant.  L’aînée continuait à sourire, les mains posées sur le volant ; elle était crispée, agacée... Au bout de six heures de route, les jumelles virent l’aube se lever derrière les cimes enneigées des Alpes. La cadette se tut enfin et s’assoupit, sur la banquette arrière. Cependant le bébé avait continué de grossir dans son ventre pendant le voyage, à une vitesse anormale. A la clinique, on leur signifia que, même ici, elles avaient passé le délai légal pour se faire avorter ; la cadette exhibait un ventre rond de femme enceinte de huit mois quand elle redescendit les escaliers de la clinique, appuyée au bras de sa sœur, que l’angoisse gagnait à son tour. Les deux jeunes femmes effrayées s’installèrent dans un hôtel de Zürich, n’osant pas rentrer chez elles, persuadées que quelqu’un, ou quelque chose les punissait. 

L’enfant naquit en Suisse, avec un visage de loup, et un sexe de dimensions démesurées. Son aspect monstrueux frappa l’imagination des deux sœurs incestueuses, déjà au bord de la crise de nerfs. Je ne sais ce que leur esprit malade s’imagina, mais elles s’empoisonnèrent deux heures après cet heureux événement, en avalant plusieurs boîtes de somnifères.  La cadette avait accouché le lendemain de sa visite à la clinique, sur la moquette de la chambre d’hôtel, sans que sa sœur ait eu le temps d’appeler le moindre médecin. Une femme de chambre trouva leurs corps inanimés auprès de celui, bien vivant, et tout à fait priapique, d’une petite créature rouge et hideuse, couverte de poils bruns ;  elle se crut le jouet d’une hallucination…

Mis au courant de la situation par le directeur de l’hôtel zurichois, qui était une de ses relations, le père des jumelles, homme cultivé mais un peu froid, arriva de Hambourg le surlendemain, au volant d’une Ferrari neuve. Il ne s’émut pas outre mesure, dit-on, du décès de ses deux filles, et jugea que la meilleure solution était de taire l’existence de l’enfant et de l’enfermer, comme le Minotaure, dans un labyrinthe. Il se souvint qu’il possédait un immeuble de rapport près de Passy, dont les caves étaient inutilisées…

Depuis ce jour, trois décennies ont passé ; le bébé monstrueux a grandi ; il est devenu un jeune garçon, puis un homme, en restant toujours enfermé dans les caves de l’immeuble parisien, le monde entier ignorant, ou feignant d’ignorer son existence - le monde entier, excepté deux personnes : son grand-père, et la concierge de l’immeuble, Monique.

Petite femme boulotte aux cheveux permanentés, d’une laideur intemporelle, Monique a toujours eu la politesse de ressembler à l’image qu’on se fait d’une concierge. Les gens qui habitaient l’immeuble se demandaient souvent pourquoi le propriétaire ne l’avait pas remplacée, comme tout le monde, par un digicode – il était le seul de toute la rue à s’offrir encore les services d’une concierge. Elle ne servait pas à grand-chose en apparence : elle distribuait le courrier aux locataires le matin pour tuer le temps, et sortait les poubelles une fois tous les trois jours (ce qu’aurait très bien pu faire à sa place un Pakistanais payé au noir, pour une somme dix fois moins importante). On s’imagina que le propriétaire s’entêtait à engraisser cette bonne femme par nostalgie des loges à portes vitrées, et des odeurs de soupe aux choux qui embaument les vestibules à onze heures du matin.  On se fourvoyait. En vérité elle était là pour veiller sur le monstre. Elle descendait tous les jours à la cave pour lui porter sa pitance et prendre de ses nouvelles. D’ailleurs pitance est un mot injuste ; elle lui faisait la cuisine et l’aimait beaucoup.

Le monstre était poli, civilisé, plein de tact ; il avait très bien compris  que le secret de sa naissance devait être gardé. Son origine incestueuse et son visage de bête lui interdisaient de sortir, et surtout de prétendre jouer un rôle dans la grande comédie qui se jouait tous les jours à l’extérieur du souterrain. Dans un tel cas le nom fameux de son grand-père se fût étalé sur la couverture d’une de ces revues dites à scandales qui aident les imbéciles à tuer le temps. Que le nom de son aïeul fût mêlé, par sa faute, aux ordures de ces fonds de poubelles eût été un tel sacrilège – plus qu’une faute de goût : une profanation – que l’homme du sous-sol tremblait rien que d’y penser.

Et puis, de toute façon, il avait peur de la lumière. Cela faisait trente ans qu’il vivait sans jamais sortir de ce souterrain : la télévision –qu’il n’allumait presque jamais-, quelques revues soigneusement choisies et surtout une bibliothèque composée des rebuts de celle de son grand-père lui servaient de lien avec le monde extérieur. Parmi les « déchets » de la bibliothèque de son grand-père se trouvaient un certain nombre de livres de théologie.

Quand Monique venait le voir, il lui parlait de ses lectures. Un matin, elle le trouva très exalté.

- Maman Monique, lui dit-il, je crois que j’ai vu le visage de Dieu.

- Tu l’as vu à la télévision ? demanda-t-elle en s’asseyant sur un tabouret (ses jambes courtaudes se fatiguaient vite).

- Mais non, rit-il, un peu condescendant. Il m’est apparu en songe, comme à tous les grands prophètes. Le Seigneur m’a choisi pour me parler, car il savait que je l’entendrais – depuis ma naissance, je n’ai jamais été assourdi par le vacarme du monde !

- Et qu’est-ce qu’il t’a raconté, le Bon Dieu ? demanda Monique en posant ses mains de naine, aux doigts épais et boudinés, sur ses genoux.

- Il m’a dit ce que je sais depuis toujours. Il faut s’abstenir de tout rapport sexuel si on veut sauver son âme. Ça a l’air naïf, exprimé de cette manière, mais c’est une vérité fondamentale.

- Ça c’est pas faux, l’amour libre est dégoûtant, acquiesça Monique avec mollesse.

- Il ne s’agit pas de ça. Bien entendu, ce que tu appelles « amour libre » est une chose répugnante et bestiale, mais l’institution du mariage est tout aussi satanique. Il faut, te dis-je, s’abstenir de toute fornication, qu’elle soit ou non précédée par des cérémonies pompeuses. Le mariage est un piège.  Avec le mariage, le diable et ses suppôts – les différents papes – ont réussi à faire croire aux hommes qu’il existait un état dans lequel l’acte de chair était tolérable et même souhaitable – ce qui est un odieux mensonge !



- Mais enfin, dit la concierge qui commençait à se réveiller. Si les gens t’écoutaient, y’aurait plus d’enfants !

- Il n’est pas utile de chercher à faire des enfants. C’est même très nuisible. Cette fausse nécessité – la reproduction – est elle aussi un piège du Malin, conçu pour inciter les gens à forniquer !

- Si les gens font plus d’enfants, dans quelques années y’aura plus de gens du tout sur la terre. Et puis alors, qui c’est qui paiera nos r’traites, à nous autres ?

- Nous sommes avant tout des âmes, dit d’un ton calme, et presque pédagogique, le monstre de la cave. Nous ne pouvons nous rapprocher de Dieu que sous notre véritable forme : celle d’un esprit tout à fait immatériel, libéré de cette prison de chair qu’on appelle un corps. Je suis d’ailleurs convaincu que seules les âmes les plus pécheresses ont été punies de la sorte – par cet enfermement dans un corps. En nous purifiant, c’est-à-dire en refusant toutes les jouissances que nous propose le Démon pour nous asservir, nous pouvons nous racheter. Monique, Monique, je sens que je suis né pour libérer les hommes de leur asservissement à la bestialité ! Je libérerai leurs âmes, toutes leurs âmes… Je sortirai de cette cave ; j’irai prêcher.  

- Ton grand-père sera jamais d’accord, dit Monique.

- Je me passerai de son avis, répliqua l’homme-loup. Et puis je dois le sauver, lui aussi.

- Le sauver de quoi ? s’écria Monique. Tu délires sérieusement, mon petit gars ! Si tu crois que les gens vont t’écouter ! Moi-même y’à vingt ans, quelqu’un se serait amené pour me dire que coucher avec mon mari, c’était mal, sous prétexte de sauver mon âme, j’aurais bien ri !

Monique paraissait indignée. L’homme-loup, choqué, rougit sous les poils noirs qui recouvraient son visage depuis le bas du cou jusqu’à la racine des cheveux.

- Très bien ! cria-t-il. Je sauverai leurs âmes de force ! Et personne ne m’empêchera de sortir de cette cave !  

- Si tu continues comme ça, dit Monique en se levant de son tabouret, toute rouge de colère, je vais téléphoner à ton grand-père !

- Je respecte mon grand-père et je lui ai toujours obéi. Mais ni toi ni lui ni personne, pas même le Pape, ne peut s’élever contre la volonté de Dieu !

Monique remonta dans sa loge en haussant les épaules, essuyant nerveusement ses mains courtes et dodues à son tablier. Intérieurement elle se gaussa des velléités d’indépendance de l’homme-loup ; elle savait fort bien qu’il ne pouvait pas supporter la lumière du jour.

Lui non plus ne l’oubliait pas. C’est pourquoi il sortit chaque nuit, à partir de ce jour, pour commettre une série de crimes abominables, que la presse abondamment relaya.

Avec un zèle passionné il traqua les amoureux dans les bosquets, sous les portes cochères, dans les vespasiennes ; assaillit les amants qui s’ébattaient dans les jardins publics, hanta les abords des pharmacies, sautant à la gorge de tous ceux qui s’arrêtaient devant les distributeurs à préservatifs ; ses victimes furent nombreuses – il frappait pour tuer. Il s’en prit même aux travestis du bois de Boulogne – on retrouva l’un d’eux, atrocement mutilé, un matin de février glacial.

Une nuit, vers une heure du matin, il terrorisa un couple d’Américains sur le point de s’envoyer en l’air dans une voiture de location, stationnée rue de la pompe. On ne prit pas leur témoignage au sérieux – pas plus d’ailleurs que les récits des survivants, plutôt rares, des attaques précédentes. L’Américain parla d’une espèce de loup-garou qui lui était apparu dans un nuage de buée derrière la vitre avant gauche de sa voiture ; il avait vu briller ses dents, des canines acérées, puis il avait passé l’embrayage, tandis que sa femme hurlait et que la créature, à l’extérieur, essayait de fracasser les vitres de la voiture à mains nues.

La Police n’avait pas pu relever le moindre indice. Les experts étaient incapables de dire avec quel genre de couteau l’assassin lacérait la gorge,  la poitrine, les parties génitales de ses victimes... Nous n’avons pas l’intention d’écrire une histoire policière, mais c’est un fait : aucun de ces imbéciles de médecins légistes n’osa supposer que l’auteur des crimes utilisait ses propres dents, et bien souvent les ongles de sa main droite. 

(A Suivre…)

samedi 11 mai 2019

Pourquoi tu t'mets en cage - poème de Frank Chantepie








Pourquoi tu t’mets en cage  
À répéter ton âge 
C’est pas plus de valeur  
T’es même en plein naufrage 
À t’faire ton sarcophage.
T’as pas d’valeur en or 

T’es pas une marchandise 
Un produit des espaces 
Où l’on brade à loisir 
En morceaux pour finir.
Métier en bandoulière 

Attention au ressac 
Ta garde est prisonnière 
Tes miroirs à l’envers 
Sociétaire sans mystère.
Pourquoi mettre en avant 

Toute ta progéniture 
Ca t’donne pas du brillant 
C’est qu’oeuvre de la Nature 
Elle ne t’appartient pas elle danse pour elle 
Laisse-là s’envoler et laisse les querelles.


Si t’as plus que ton âge à présenter aux autres 

Si t’as plus qu’t’es euros à donner en pâture 
Comme ta progéniture et ton métier obscur 
Fais la pause. 
Dans tout ce bric-à-brac tu trouveras bien ton cap 
Au fond de ton esprit y’a quelqu’un qui frappe 
C’est ton âme.
 



mercredi 8 mai 2019

« Les Epaves » : Le précieux témoignage de Pauline de Flaugergues. Par Paul Tojean





Son ouvrage Les épaves paru en 1873 et dédié à son amie George Sand demeure un précieux témoignage de l’écrivain au cours de cette triste période de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Son père, Pierre-François Flaugergues, fut président de l'administration centrale de l’Aveyron en 1792, premier sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue, nommé le 2 mars 1800, mais en est destitué en 1810. Il est désigné député de l'Aveyron en 1813, siégeant dans l'opposition. Il est l'un des initiateurs du vote de déchéance de Napoléon, le 3 avril 1814, ce qui lui vaudra très vite de nombreux ennuis, notamment financiers…


 « Ah ! ne me parlez pas de fuir cette retraite/Ah ! ne me dites plus que ces lieux sont déserts/.Ici tout me le rend ; ici son vœu m’arrête/C’est encor notre Eden, c’est tout mon univers. »  (Les Bruyères).

Bien plus, bien mieux que les manuels scolaires, Les Épaves(1) de Pauline de Flaugergues(2), écrivain et poète romantique relatent des faits réels et portent un étonnant témoignage de cette triste période de la guerre de 1870-1871.
La peur, l’humiliation, les privations, les réquisitions, les massacres, l’occupation des lieux et des habitations par les Prussiens étaient déjà à cette époque le lot quotidien des Français. Le récit, paru en 1873, débute comme une longue lettre à destination de George Sand (3) : « Madame, voici quelques pages dont vous ferez ce que vous voudrez. C’est la relation bien simple des événements ou plutôt des émotions qui ont rempli quelques mois de ma vie » écrit Pauline de Flaugergues à son amie de Nohant. Les faits remontent au début de ce conflit, en juillet 1870. Après deux sanglantes défaites, « le sol français est foulé par les bottes prussiennes ». L’ennemi petit à petit envahit les provinces. Son arrivée imminente à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine) provoque l’exode de tous les habitants. « C’était un spectacle attristant que celui que présentaient ces localités silencieuses avec leurs boutiques fermées, leurs maisons barricadées… » écrit la muse ruthénoise qui décide de rester dans son ermitage, à Aulnay. « Là se trouvaient réunis une foule d’objets chers à mon souvenir des livres au nombre de…4 000 volumes dont beaucoup m’étaient particulièrement précieux… » Ce lieu, ce havre de paix était la demeure de son mari Henri de Latouche, disparu en 1851. «Moi aussi, je mourrai où je me suis attachée » affirme-t-elle.
 

Une infirmerie et une chambre d’officier ! Prenant son courage à deux mains, elle conçoit dans un pavillon attenant, une infirmerie comprenant deux lits de soldats et à l’étage, une chambre d’officier ! Mais sur les instances de son amie, elle doit se résoudre à partir et rejoindre le couvent des Dames de la Retraite, à Paris. Malgré ses nombreuses tentatives pour regagner sa chaumière, Pauline de Flaugergues reste en demeure jusqu’à ce que le toit de sa chambre s’effondre sous un bombardement. Après quelques nuits passées dans le sous-sol, elle part « résolue et bien assurée » découvrant sur son chemin solitude, soldats en déroute et maisons en ruines… « Partout la vue était attristée par ces uniformes étrangers ; partout les longues capotes brunes et les casques pointus des Prussiens… Je pleurais de tristesse et je savais bon gré à la nature d’être aussi triste comme moi et de se montrer maussade à nos envahisseurs… » L’écrivain fera plus tard ce constat : « Dans plusieurs propriétés… les Prussiens… ont laissé intactes les provisions de bois de chauffage tout préparé, pour briser et jeter dans les foyers des meubles, des portes, des planches de bibliothèques, de pianos, même souvent des livres et des tableaux. » C’est ainsi qu’elle découvre l’état de sa maisonnette à Aulnay : « une espèce de grande cage sans portes, sans fenêtres, sans escalier, sans plafond, ni plancher, enfin rien qu’un toit et des murs troués… » En attendant, Pauline de Flaugergues passe ses journées et souvent ses nuits, dans la chapelle au cimetière de Châtenay où se trouve le tombeau d’Henry de Latouche. Elle y vit, écrit et médite. C’est grâce à de généreux donateurs, dont Alexandre Dumas, fils ; Jules Simon, ministre de l’Instruction publique, ou encore la princesse Mathilde que Pauline de Flaugergues peut se réinstaller dans la villa, à Aulnay, ravivant encore plus fort le souvenir du poète Henri de Latouche qui écrivait : « Il est beau mon manoir dans sa rusticité ! » Après la disparition de Pauline de Flaugergues, en 1878, cette maison deviendra la propriété d’Armand Sully Prudhomme. 


(1) Bernard Combes de Patris « Une muse romantique, Pauline de Flaugergues  et son œuvre ». En librairie et sur internet. (2) Pauline de Flaugergues est née à Rodez en 1799 et décédée à Aulnay en 1878. (3) Dans « Dernières pages » (Calman Lévy, 1877) George Sand consacre dans la deuxième partie de son ouvrage un chapitre d’une vingtaine de pages, intitulé « Mes campagnes, par Pauline de Flaugergues ». Elle relate la vie et l’œuvre de son amie ruthénoise. Toutefois, George Sand regrette que Sainte-Beuve ne lui ait pas ouvert « son inimitable galerie de ses portraits littéraires et philosophiques. » 





Adieu collines - poème d'Estelle Sciortino

Dans de grands champs de visions, je chassais l'élan Sûre qu'un jour, mon nom se pendrait à l'horizon Je me disais...