jeudi 28 février 2019

L'Age plomb - poème en prose d'Ema Dubotz


























Je vis sous réalité pluvieuse
Dans cette étrange clairière nocturne
Le dôme suinte d'une rosée épaisse. Opaque rosée. Rosacée.
La chaleur humide incessante est balayée légèrement d'une odeur fétide
Au centre, bassin aux reflets argentés délimité par ces arcades émaillées lustrées
De surprenants élans vibratiles parcourent les latérales et souffles mystérieux jaillissent des entrailles Je suis comme un scarabée immobile sous les Tropiques Je baigne dans une éclaboussure hostile.

30 ans d'instinct primaire
Cotoyer animaux végétaux morts vivants Petits ou grands Volumineux ou pas Visqueux Carcasse Limaille Malbouffe Substances acerbes, amères, acides

30 ans à Broyer, cisailler, concasser, couper, écraser, fragmenter, mastiquer, mélanger, morceler, piler, presser, pulvériser, sectionner

30 ans de responsabilité civile
Je suis en première ligne
Lié à cette mâchoire avancée, je prends part à l'organisation de la sale besogne aux côtés des agents dentaires, linguales et salivaires
Je suis témoin de l'oralité éclose

Or à Broyer, cisailler, concasser, couper, écraser, fragmenter, mastiquer, mélanger, morceler, piler, presser, pulvériser, sectionner

J'ai humé l'odeur âcre des cigarettes consumées, heure après heure,
Envahi de toute part les écumes dévastatrices des bas-fonds
Je ne me suis jamais senti à ma place dans ce trou qui m'était destiné Trou que j'ai dû combler malgré moi
Un petit trou béant
A même la chair de mon hôte

Chair à
Broyer, cisailler, concasser, couper, écraser, fragmenter, mastiquer, mélanger, morceler, piler, presser,
pulvériser, sectionner

Je suis gros grain, microstructure bien ronde Polyphasé sphérique Petit caillou dénué d'esthétisme Au contraste chromatique
Dès le départ, je crée la confusion
Amalgame
Une permanence pétrifiée
Enracinement insensible

Je me suis liquéfié et installé sans hâte
Fusion durable taillée sur mesure, injection moderne
Symbiose à coups de fraise
Fondu dans un creuset Deviens résine durcie usiné mécaniquement

Mode opératoire rotatif lancinant sifflant
Le bruit soudain, le bruit !!
Suivant processus d'une sauvagerie précise L'étranger m'a poli la face
Face Broyée, cisaillée, concassée, coupée, écrasée, fragmentée, mastiqueé, mélangée, morcelée, pilée, pressée, pulvérisée, sectionnée

Mes goûts métalliques se propagent aux sensations de brûlures
Je sens les résonnances crissantes le long de cette nouvelle forme dans laquelle je me suis fondue
Je ne reconnais pas cet autre volume sphérico-polyphasé gros grain bien rond amalgame
Cavité d'ingestion nouvel environnement amalgame
Je crois avoir perdu matière, comme disloqué en pleine gueule

Matière à
Broyer, cisailler, concasser, couper, écraser, fragmenter, mastiquer, mélanger, morceler, piler, presser, pulvériser, sectionner

Lors d'une mastication prolongée, une simple gomme désunit mon alliance
Déraciné, je me retrouve en pleine curée, rosée illico
Pressé par un ancien collaborateur,
Je franchis frontière émaillée lustrée sous lumière oxydée
Pas bouger. Pétrifié. Trop risqué.
Eperdu chute soudain sous poids gros grain amalgame

Grain
Broyé, cisaillé, concassé, coupé, écrasé




lundi 18 février 2019

Lilith - poème de Jérémy Gouty

















Démon femelle portant le beau nom de Lilith
Elle vient, depuis toujours, troubler ma solitude
Aussitôt qu’elle m’approche, tout en moi se délite
Et j’oublie tout : famille, amis, amour, étude

On a tout dit de toi, chère Lilith, que tu rends
Les garçons sourds ; les vierges à la vertu farouche
Les moines et les naïfs trouvent tous effarants
Les incendies que tu allumes avec ta bouche

Mais faut-il que j’en croie les vieilles légendes juives
Est-il bien vrai, Lilith, que quand nous nous aimons
Tu me fais des enfants : qu’ils deviennent les démons
Qui peuplent mon enfer et qui, partout, me suivent ?

Au physique tu es femme de quarante ans
Ou fillette aux yeux verts, aux cheveux d’incendie
Tu es toutes les femmes, et partout tu attends
Le solitaire : le moine, et aussi le bandit

Car tu hantes le cloître, ainsi que la prison :
A tous ceux que le vœu de chasteté affame
Aux maris un peu las des charmes de leurs femmes
Tu apparais et, tous, ils perdent la raison.

Tu donnes ta préférence au pâle adolescent
Au novice intranquille, dans son abbaye
Soupirant, agité de rêves indécents… 
Mais tu es de tous temps, et de tous les pays.

Tu étais, me dit-on, la première femme d’Adam
Mais vous formiez un couple d’amants capricieux
Il te chassa un jour, et en grinçant des dents
Tu maudis ton Adam, Jéhovah et les cieux !

Dieu donna une épouse un peu moins casanière
Au jeune Adam ; sortie d’une de ses propres côtes
Elle l’aima, ignorant tes folies rancunières
Et ils auraient vécu bien mille ans côte à côte

Mais la rousse Lilith, compagne du dieu Pan
Se mêla d’inspirer tous les mots du serpent  
Quand s’approcha de l’arbre à la maudite sève,  
Des fruits empoisonnés, la naïve et blonde Eve.

Ah ! Ma chère Lilith, mère des insatisfaits
On ne compte plus tes tours, tes ruses et tes méfaits
J’entends encore Adam lorsque Dieu l’a maudit
Pour avoir ignoré le plus grand interdit :

Le premier des hommes dit d’une voix lamentable
En désignant son Eve : «  je ne suis pas coupable !
C’est ma femme qui m’a incité à le faire
Elle doit s’en aller, toute seule, en enfer ! »  

Dieu le chassa quand même, ainsi qu’il est écrit
Adam et Eve furent conduits par deux anges
Aux portes de l’Eden et plongés dans la fange
Mais c’est une autre histoire ; et qu’importent les cris

Du premier des ménages, car, poussant la charrue
Adam, la sueur au front, se prit à rêvasser 
Dans ses songes la rouge Lilith apparut…  
De tes charmes fumeux il n’était point lassé !

Il t’aima de nouveau, étendu dans un songe
Comme dans une alcôve ; il s’éprit d’un mensonge.
Et tous ses fils t’aimèrent, même le doux Abel
Sous la lune, il arrive que tu sois la plus belle.

Et tous ses fils aimèrent, le doux Abel compris 
La sorcière aux yeux rouges, aux séductions sans prix
Ton œil incandescent, Lilith, est le soleil
Qui consume les nuits de nos stériles veilles

C’est là du moins ce que me racontent les mythes… 
Lilith, reine des incubes et sublime sorcière
Jusque dans les cavernes, harcelant les ermites
Jamais lasse de conduire l’homme dans tes souricières,  

Quand comprendras-tu que, malgré tous tes appâts,
Maudite et douce Lilith, non, tu n’existes pas ! 




vendredi 15 février 2019

La Fenêtre - poème de Candyce Metevola



















Sans fenêtre pas de monde,
car sans ouverture pas de liens.
Si une promesse est chose féconde,
c'est qu'elle sait s'ouvrir sur demain.
Lignes sincères qu'offre ton âme,
je lis ton être en un regard.
De même que tu apprends du mien,
qui prend sans offrir s'égare...
N'être hermétique à presque rien,
rien, et surtout pas à l'impossible,
Il me faut choir beaucoup plus loin
pour voir l'avenir en chose lucide.
Pour qu'il me plaise encore du moins,
qu'il vaille la peine qu'on l'envisage,
Rêves et désespérances infimes
parcourent les traits de ton visage.
Déploie tes ailes et tu verras,
que tous les plafonds sont de verre,
Que ta vie court, mais pas sans toi,
qu'un fou ne souffre aucune frontière.
Aucun maillon ne lie tes mains,
comme ton esprit elles vagabondent.
Aussi vraie qu'une ivresse sans vin,
Affirmation : la Terre est ronde.
Fais-en le tour, et puis reviens !
Entre-ouvre d'autres paysages.
La vie, une découverte sans fin,
un renouveau d'anciens rivages.
Savoir mourir pour vivre bien,
s'agiter, mordre en plein courage.
Tu apprendras qu'il n'est pas vain,
d'avoir l'envie, seule, pour bagage. 





dimanche 10 février 2019

La quête d'Isis - poème de Gracie de la Nef
















Scène d’Égypte sous l’orage.
Route ensablée ; obscur paysage
qui, jusqu’au fond de mes nuits,
fait brûler le long carnage
d’un feu palpitant qui m’appelle et s’ennuie.
Dans l’incendie,
par son trépas meurtrie,
implorante, je gis.
Seule une larme se démène
 à nourrir le jeu maudit
d’une image endormie :
son corps démembré qui se traîne.
Au soleil jouissant de ma peine,
le chemin poussière ne m’est pas inconnu.
Seul, un caillou de sang,
posé là par par Seth
– puant  fouisseur de terre – ,
écorche mes pieds nus.

Mais j’arpente et dévore
ce désert où tu dors.
Ma sœur, motif involontaire
de ta cruelle mort,
ma sœur m’accompagne, et me sert,
et partage mon sort.
Ensemble nous volons
en quête de ta chair.
Ensemble nous marchons
en quête de renaissance.

Fixant à ma mémoire
 chaque repli grossier
de ce sentier sorcier,
ma flamme se répand
sur le fiévreux serpent.
Et poussera demain,
sur  tes derniers ossements,
le chardon désespéré.
Je te reconnaîtrai.

J’atteindrai, à l’aube noire,
La montagne dévergondée.
 Et , trouvant la fêlure incendiée,
il te faudra petite main
creuser la roche  tel un pantin téléguidé.
Déposer feu et cendres et ma peau ;
marteler et maudire le géant jumeau.
Dans les replis ombreux de l’homme tonnerre
je décèlerai les moindres repères
qui mèneront à ce tombeau
au fil du fleuve ; ton dernier radeau.



 

lundi 4 février 2019

Le Banc de bois - poèmes de Nathalie Frieden















Le banc

Au bout du banc de bois,
Il était assis, las.
Il n’avait plus le choix,
Il était assis, là.
Sur le bout de ses doigts,
Il comptait, recomptait
Les jours sans toi, ni toit.
Il était assis, las.
Mais rougis par le froid,
Les doigts s’entrechoquaient ;
Et sans cesse il comptait,
Et il recommençait

Au bout du banc de bois.
Il était assis, là.
Il comptait, racontait
Les histoires d’autrefois
Et toi tu ne sais pas,
C’était son banc de bois,
Tu ne sais pas pourquoi
Il comptait sur ses doigts.

Tu ne sauras jamais
A quel point tu comptais

Il m’arrive parfois
De repasser là-bas ;
Et je revois le banc
Le joli banc de bois

Nu…


Le muret

Une pause entre deux et le regard se pose
Le temps d’une histoire qui s’accroche
Au fil de l’eau au fil des mots.

S’égrènent les pages et les minutes en prose
L’inutile se disperse, il reste
La fraicheur que renvoient les flots.

Le voilage de feuillage, en quadrillage, dépose
Sur les lignes, un reflet, une image
Une ombre, mais pas sur le tableau.

Sous le soleil en suspension, un air si chaud
Si chaud, mais il est encore tôt
Ne pas faire tomber le stylo !

Comme une gravure, derrière le rideau de verdure
Quelques silhouettes en miniature
Se glissent à demi-mots.

Le journal saura rédiger seul les mémoires
D’un jour d’été de bord de Seine
Quand l’éternité se promène,
Amène, et fait des ronds dans l’eau.   



Adieu collines - poème d'Estelle Sciortino

Dans de grands champs de visions, je chassais l'élan Sûre qu'un jour, mon nom se pendrait à l'horizon Je me disais...