dimanche 23 décembre 2018

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La rédaction des Caprices de la femme en rouge est en vacances jusqu'au 30 décembre.
Nous souhaitons un Joyeux Noël à ceux qui nous lisent (et aussi à ceux qui ne nous lisent pas, mais ils ne le sauront jamais...) 
 

jeudi 20 décembre 2018

François BUSNEL ou l'enfer des bonnes intentions télévisuelles - par Joachim Garcia






François Busnel a terriblement envie d’être aimé, comme tous les animateurs de télévision. Ce besoin le ronge littéralement. Cette maladie dont les symptômes nous sont fort bien connus est en train de le perdre, comme elle perd chacun de ses collègues. Bien entendu, animant une émission dite littéraire, FB n’a pas pu, et ne pourra jamais sombrer dans les abîmes de vulgarité, de démagogie, de racolage putassier qui depuis longtemps ont englouti les animateurs de télévision dite populaire (soit dit en passant, quel gros mot et quelle insulte au peuple !). Mais sa fameuse émission, La Grande librairie, n’en est pas moins en train de devenir insupportable, d’une manière incomparablement plus subtile.
Avant toute chose, précisons-le : je trouve François Busnel fort sympathique. Voici un an ou deux encore, ma compagne et moi regardions La grande librairie sur la cinq, tous les jeudi soir – la seule émission de télé que je fusse capable de supporter jusqu’au bout. C’était même devenu un rituel : ayant dîné, nous prenions place sur notre canapé, comme de paisibles Français moyens, et assistions, un peu engourdis par la digestion, aux prouesses promotionnelles des auteurs invités chez FB (en réalité, nous étions mus chacun par des motivations différentes, et plus ou moins avouables : la femme qui partage ma vie me confia un jour qu’elle trouvait François Busnel fort séduisant magré sa manie de s'habiller toujours de la même façon, quant à moi je prenais plaisir à critiquer méchamment les invités). Mais déjà quelque chose, dans le comportement de Busnel, suscitait en moi le malaise.
L’écoutant qualifier de « génial » chacun des auteurs qu’il reçoit,  le regardant caresser leurs égos bien souvent monstrueux dans le sens du poil, exactement comme on flatte le dos d’un gros chien, j’avais douloureusement pitié de lui. FB a l’impression d’être aimé par les auteurs qu’il reçoit parce qu’il nourrit leur vanité, me disais-je ; il se fourvoie terriblement s’il croit que les sourires d’autosatisfaction qu’il fait naître à coups de compliments hyperboliques lui sont destinés -ce sont des sourires de jouissance, adressés à quelque miroir imaginaire et flatteur. Probablement est-il conscient de tout cela – je suis persuadé qu’il n’est pas un idiot. Mais son besoin de plaire, qui tient de l’histrionisme pur et simple, est plus fort que tout. 
Je me rends compte à présent que  ce pathologique besoin d'être aimé a d'autres conséquences, bien plus néfastes. Il pousse notre animateur à faire partie des gens qui contribuent le plus aujourd’hui à dévaluer la notion même d’écrivain et de littérature !
Un exemple. Voici une semaine ou deux, FB recevait Jacques Tardi, le fameux auteur de bandes dessinées. A plusieurs reprises, FB l’a qualifié « d’écrivain », avec une obstination tendancieuse, puis « d’écrivain sachant dessiner », ce qui nous semble encore plus déplacé. Comprenons-nous bien. Loin de nous l’idée de mépriser la bande dessinée. Nous devons quelques-uns de nos souvenirs d’enfance les plus chers à Popeye, Tintin, Spirou, etc. Mais nous l'affirmons : en qualifiant Tardi « d’écrivain qui sait dessiner (sic) », Busnel ne hausse pas la bande dessinée, comme il en avait probablement l’intention, au niveau de la littérature, il rabaisse la littérature, et méconnait au passage la spécificité de ce mode de narration très particulier qu’est la bande dessinée. Isolez, dans une BD, les textes des images, ils paraîtront insipides et dépourvus de sens ; la narration se fait principalement au moyen du dessin (lequel dessin ne signifie rien par lui-même), comme le disait Hergé, l’un des inventeurs du genre. Dire de Tardi qu’il est « un écrivain sachant dessiner », comme si cette compétence de dessinateur le mettait au-dessus des « autres écrivains » revient à rabaisser ceux-ci en sous-entendant que s’ils ne dessinent pas, et se contentent de remplir des volumes entiers de leurs pattes de mouches, c’est par impuissance… Ce qui équivaut à oublier ce qui fait l’essence de toute littérature, écrite ou orale, depuis la nuit des temps, et la vocation de tout conteur : réussir à faire naître des images dans l’esprit des hommes par le seul pouvoir des mots !  
En cherchant à être « bienveillant », et à défendre cette forme hybride de narration par l'image, admettons-le, parfois un peu trop méprisée par les snobs qu’est la bande dessinée, le gentil François Busnel jette ainsi le trouble dans l’esprit des téléspectateurs ignorants… nous prouvant, une fois encore,  le bien-fondé du fameux adage : l’enfer est pavé de bonnes intentions.




mercredi 19 décembre 2018

Conversation près d'un carrousel... - Poèmes de Gracie de la Nef






















La fille aux souliers rouges

Je croyais être sortie
Des jupons de ma mère.
Tout ce temps,
Je n’ai fait que tourner en rond.
 J’ai sauté sur du verre.
J’ai claqué des talons ;
Rouges sang
De ma chair.
Je croyais, agencer,
Comprendre
Tout
De la danse éphémère.
Je n’ai rien maîtrisé…
Je n’ai fait que tournoyer
Sans jamais épuiser
Ce feu qui me malmène.
Pauvre fille affolée
Pas prête à m’arrêter,
Je sais bien tout cela .
Viens danser avec moi.




A trop tutoyer les volutes à trop côtoyer les balcons

Les bas se fileront
Sur le tapis de la salle de bain
Ils s'envoleront en fumée
À l'aube
Trop harassés d'avoir attendu que le soleil se lève
Et les inonde d'eau de pluie
Mais ils ne s'ennuieront pas
Par la fenêtre ouverte
Ils verront
Sur le toit du voisin
Des rouleaux de printemps
Bien rangés deux par deux
Se tenant par la main
Essayant désespérément
D'éviter les rayons sales et mouillés de l'astre solaire
Qui refusera
Encore
Toujours
De pénétrer dans la jolie petite maison aux bas filés
Brûlants de larmes de fatigue et d’encens
L'amour s'éveille derrière les rideaux d'un bac à douche
Il s'était endormi très tard
Hier
En glissant doucement
Du sofa au tapis
Du couloir à la poignée de la porte
Du collier de faux diamants
Aux bas qui fileront



Conversation près d’un carrousel


L’haleine était fraîche
Et l’inspiration nouvelle.
Les femmes autour étaient si belles.
Déesses qui régnaient sur la terre et le ciel,
Courant, altières, à cœur perdu ;
Grimpant dans les calèches
Et les chevaux de bois.
Les hommes, volubiles,
Chantaient fort
Et parlaient beau ;
Se frappaient sur les cuisses
En de mâles postures,
Se tenant fiers et droits.
Excepté toi.
Moi, je riais aux éclats
Et tournoyait en un point fixe ;
Alignée à la lune.
Puis, interstice.
Chuta mon amie,
La plus flamboyante ;
À mes pieds implorante.
Du sang perlait
Sur son genoux diaphane.
Nous avons ri aux larmes !
Sa douleur,
Mes grimaces ;
Nous avons savouré ces minutes de grâce.
Avide de réjouissances,
Elle a rejoint en claudiquant
La folle cavalcade.
Moi, J’ai tourné le dos à la fête ;
Cherchant dans les étoiles
Un signe auquel m’accorder.
Faut-il toujours
Que l’éternité cesse ?
Faut-il toujours
Que quelqu’un se blesse ?
Enivrée, je plongeais,
Esseulée volontaire,
Dans la brèche où tout se meurt,
Se confond dans la candeur .
Tout s’éteint avec splendeur ;
Arrêter le temps.
Subtile, tendre douleur,
Emporte moi dans ta balade :
«  Tout est silence,
Les bruits sont esclaves,
Les cris sont doux,
Les mots rêvent...
Mon amour est un nomade
Qui court la ronde
Et fuit le monde.
Mon amour est un Runner
Pourchassé par ses peurs ;
Éclairé par mes ombres. »



lundi 17 décembre 2018

Ce rouge... - Poèmes de Barbara Bigot-Frieden



 
















Abrégeons

J’aurais voulu
Que tu me sauves
Que tu me salves
De baisers frêles et frelons
Légers – appuyés - piqués         … mais …
Nous (nous) abrogeons


D’écarlate

Cou cendré d’écarlate
Pouls brisé je suis 
En peine de vous et de vous
Seul –
Ami ma douleur s’évase
Dis-moi quand tu  me scindes
Préviens si tu  t’écartes


Le boudoir

Je baisse la lampe
D’amiante
Pour vous voir
En clair-obscur

Je vouvoie
Et vous discerne
Légère esquisse
Sur les murs 

Je brume bleu
Près du bougeoir
Ne bougez pas
Ou je dis Tu

Restez là 
Sans m’émouvoir
Je ne sais pas
Me mettre à nu

Je murmure
Le Vous dévot,
Et vous dis vrai
Pourvu que durent

Dans le boudoir
Nos signatures
Sur ma nuque
Vos lèvres à boire


Ce rouge

Elle déplisse la peau d’orange  sur ses cuisses
Elle n’a pas de manteau pas même  une pelisse
A peine des os en noyaux  métalliques

Mais il y a les cerises les cerises 
gonflées  
qu’elle offre par poignées aux enfants
pour qu’ils goûtent 
sucré

Elle les appelle Trois pommes 
car ils sont peu
et bien trop petits
pour rester deux

La femme à peau pelure
rides  craquelures  
orange gercée 
rêche  frelatée
vit entre deux masures

Mais elle pense aux cerises les cerises 
colorent les dents
Et l’essentiel pour elle 


C’est ce rouge
Sur du blanc 




dimanche 16 décembre 2018

D'une rue à l'autre, la nuit - nouvelle d'Alain Dumas Noël







Rue de Loire dix heures et demie, le soir. Au coin d’une autre rue un homme titube… un homme jeune, avec un chapeau, un imperméable. Une femme le secoue en le traitant de tous les noms. Puis, brusquement, elle le lâche et il manque tomber. Elle le rattrape et l’aide à s’asseoir sur un banc tout proche. Elle allume une cigarette et marche de long en large en lui jetant des regards furieux. C’est une toute jeune femme, presque une adolescente. Une grande fille brune, qui me semble-t-il de loin (je passe sur l’autre trottoir, et me suis arrêté pour regarder la scène qui pourtant n’est ni bruyante ni spectaculaire) serait sûrement jolie si elle n’était attifée, au choix, comme un épouvantail, ou comme une punkette tendance gothique, avec de hautes bottes de cuir noir et un long manteau peut-être en cuir, noir également. Elle écrase son mégot par terre, secoue la tête. Se tourne brusquement vers moi : 
- Mais aidez-moi, au lieu de mater comme un con ! 
Je m’apprête à lui répondre vertement que j’ai autant qu’elle le droit d’être là, que la rue est à tout le monde, que si cela ne lui plaît pas c’est le même prix, et… mais quelque chose dans son regard m’en dissuade. Elle a l’air vraiment embêtée. Je traverse et jette un coup d’œil à l’homme affalé sur le banc. Il n’a pas l’air très frais, est-ce à cause d’un excès d’alcool, ou d’autre chose ? Est-il malade ? Je ne crois pas, mais je ne suis pas médecin. La fille reprend l’initiative :
- Vous voulez bien m’aider à le ramener à la maison ? 
Devant mon air incertain, elle précise : 
 - Evidemment, ce n’est pas tout près, du côté de la porte des Grandois… Il faudrait aller jusqu’au tram, c’est là, au bout de la rue ! Grand-Place, il me semble ? 
Comme un taxi passe, je lui fais signe. La fille commence à protester, mais je lui coupe la parole : je paierai, ne vous inquiétez pas !  Le chauffeur baisse la vitre côté trottoir, s’enquiert de la destination, acquiesce d’un grognement, remonte la vitre.
Nous prenons le type chacun sous un bras et le guidons vers la voiture. Il se laisse faire, à la fois mou et curieusement tenant sur ses jambes. Je me demande bien ce qu’il a avalé, ce qui lui est arrivé. Mais la réponse, ce sera pour plus tard.  Je fais le tour du taxi, qui démarre. Nous voilà encadrant le personnage « out » qui n’a toujours rien dit. La fille me regarde, à la dérobée puis en face. C’est gentil, vous n’étiez pas obligé…
Eh si, j’étais obligé : on ne laisse pas dans l’embarras une femme avec des yeux pareils, en fin de soirée. Ce n’est même pas une question de se croire chevaleresque, ou un projet de drague. C’est… compliqué, plus compliqué que ça - tout simplement, si on peut dire.
En fait, je le sens, ceci est une nuit première. J’ai pris le maquis, le maquis de l’âme -dirai-je avec un zeste de lyrisme teinté d’ironie et un peu déplacé, je l’avoue. 
Nous passons devant la statue de la Vieille Porte. Le chauffeur a, sans consulter personne, pris par les Maréchaux, ce qui lui a permis, à chaque arrêt à un feu rouge, de contempler d’un air perplexe notre trio. Mais comme l’homme-qui-titube ne fait pas mine d’être malade, le taxi a dû finir par se sentir rassuré : ses coussins ne feront pas les frais de l’équipée. 
- Voilà, on y est : prenez la petite rue, là sur la gauche ! Demande ma voisine. Elle aussi m’a beaucoup lorgné, pendant le trajet, mais sans se décider à engager la conversation.
Le chauffeur m’annonce le prix de la course, je paie rapidement - gardez la monnaie. Il ne me remercie même pas, jugeant sans doute le pourboire trop mince. Je rejoins la fille côté trottoir, et nous aidons notre malade à s’extraire de la voiture. Une fois sur la terre ferme, il chancelle de nouveau et comme par réflexe nous le rattrapons au vol. De nouveau, chacun un de ses bras autour du cou. Où est-ce qu’on va ? Demandai-je. Elle fait un signe de tête : par-là, ce n’est pas loin… Effectivement, quelques minutes après, nous parvenons devant une petite maison, précédée d’une grille. Quelque part une glycine répand le parfum de ses fleurs. Les environs sont très calmes, il n’y a pas un passant dans la rue faiblement éclairée par un réverbère jaunâtre. - Vous le tenez, s’il vous plaît, je prends mes clés… 
Elle ouvre la porte, revient m’aider à soutenir son compagnon, et nous entrons dans la courette, foulons un courte allée bétonnée. Nouvelle halte, pour la porte de la maison proprement dite. De nouveau nous avançons, elle allume une lumière. Nous nous trouvons dans une entrée encombrée d’un vélo, d’un porteparapluie et de bouteilles vides probablement sur le chemin du bac de tri sélectif. L’inconnu heurte le vélo, qui bouscule autre chose, un bruit de verre retentit, mais apparemment rien ne se casse.
- Par ici, tenez, au bout du couloir… Nous guidons notre fardeau jusqu’à une chambre où nous le laissons tomber sur le lit. Sa compagne le recouvre d’un jeté de lit qu’elle tapote ensuite d’un air distrait, puis me fait signe de sortir.
Nous nous retrouvons au bout du couloir et elle me fait entrer dans la cuisine. Elle me remercie sans me sourire pour autant, mais m’invite à boire quelque chose :  - Il nous en a donné du mal, ce chameau ! 
Je fais mine de protester, que ce n’était rien, que…
- Oh ! Si, il est lourd, toute seule je n’y serais pas arrivée ! Une fois, je me souviens…
Elle s’interrompt, endosse le rôle de maîtresse de maison : 
- Qu’est-ce que vous voulez boire ? Je crois qu’on a de la bière, sinon du Côtes du Rhône ? 
Elle verse le vin dans des verres qu’elle prend sans regarder dans un buffet, s’asseoit et le convie à faire de même. 
- Quelle histoire, hein ? 
Comme je ne réponds rien, elle me regarde comme si elle se demandait s’il fallait m’en dire davantage. Elle doit juger qu’en effet j’ai droit à une explication, car elle se lance. 
- C’est Bob. Un type charmant, du moins en temps ordinaire - parce que là, évidemment, vous n’avez pas bien pu vous en rendre compte ! - Ce qu’il y a, c’est qu’il boit trop, et qu’en plus il prend des substances, comme il dit, pour tenir le coup, pour planer, pour être ce qu’il rêve d’être, pour je ne sais pas    quoi ! 
Elle hausse les épaules, soupire. Quant à elle, d’après ce que je comprends du discours qu’elle m’adresse pour plus ou moins se présenter, elle vient d’avoir dix-huit ans, elle a quitté à la fin du mois d’août un foyer d’urgence dans lequel elle a été accueillie pendant quelques mois, tant qu’elle était encore mineure, elle vit dans la rue mais n’aime pas qu’on le dise, il y a des mots qu’elle refuse d’entendre, je fais attention, car si elle se fâche elle ne dit plus rien, elle se mord la lèvre et regarde par terre. C’est compris ?   Je ne sais trop que penser de ce qui ressemble malgré tout à une pose, à un numéro qui me paraît surtout destiné à noyer le poisson. Est-ce qu’elle récite comme si elle était à un cours de théâtre ? Est-ce qu’elle est sincère ? - Car enfin, elle vit peut-être dans la rue, mais elle semble aussi bien habiter ici, elle connaît la maison comme sa poche, alors à quoi rime vraiment tout ceci ? Autant de questions que bien sûr je garde pour moi, car elle me regarde droit dans les yeux, de ce regard qui est au fond la seule raison de ma présence dans cette cuisine, comme de mon intervention de samaritain.
Nous jouons les chiens de faïence quelques minutes. Soudain elle lance : « Il fait chaud, ici - Non ? » et enlève son manteau. Elle quitte la pièce pour aller voir où en est son homme. A son retour, elle s’assoit face à moi et m’adresse un sourire, rassurant ou enjôleur, je ne sais trop.  Est-ce qu’au passage elle s’est rafraîchie dans la salle de bains, ou est-ce que je m’habitue à son « look » ? A moins qu’elle s’épanouisse façon fleur de la nuit… Quoi qu’il en soit, je trouve qu’elle est de plus en plus attirante. Et la douceur dont elle fait preuve maintenant que le problème Bob a été à peu près résolu ne fait bien sûr que renforcer ce sentiment. Je me demande brusquement ce que je fais ici, dans cette maison isolée, avec cette inconnue. La situation ne m’inquiète pas, mais m’étonne, cet enchaînement d’événements que je me suis borné à accompagner, sans trop réfléchir. Quant à elle, elle n’est apparemment pas perturbée le moins du monde par notre réunion dans la cuisine, avec son compagnon dans la chambre voisine. 
- Pauvre Bob, soupire-t-elle, il est complètement assommé… Il ne va pas nous déranger de sitôt - je veux dire, se reprend-elle, qu’il ne va pas venir nous faire la conversation ce soir ! C’est même un peu dommage, parce qu’il est très fort, en conversation !  
Elle se tait. Au bout d’un moment, de nouveau, elle me regarde, puis comme si elle pensait tout à coup à quelque chose qu’auparavant elle aurait oublié, elle m’interroge : 
- Il y a une autre chambre, vous savez  - vous voulez la voir ? 
Ma foi ! Nous nous levons d’un même mouvement et sortons de la cuisine. Je la suis, au passage je referme sans bruit la porte de la pièce où repose le malade. Ma mystérieuse compagne ouvre un battant, entre, allume.  - Voilà ! 
La pièce est identique à l’autre, le papier peint est aussi laid, et usé. Le vaste lit est recouvert d’un couvre-lit bleu sombre, parsemé de fleurs plus pâles. La fille le rabat avant de s’asseoir. Tapote le tissu près d’elle : 
- Allez, venez - vous voulez bien ? 
Comment refuser ? Je m’installe près d’elle. Elle coule son corps contre le mien, me tend ses lèvres. Nous roulons sur le lit… Un peu plus tard, alors que nous sommes bien, alanguis l’un contre l’autre, une longue plainte qui traverse les murs nous tire de notre quiétude. La jeune femme se dresse, tend l’oreille : 
- C’est Bob, il a appelé… !
- Tu es sûre… ? 
Elle saute du lit, et se précipite dans le couloir. Je l’entends qui me crie :  - Il n’a pas l’air bien du tout !
Me dirigeant vers l’autre chambre, je la croise dans le couloir. Elle s’agrippe à mon bras :
 - Je ne sais pas ce qu’il a… ! Oh ! Je m’en veux ! 
Puis, sans transition : 
- Mais rends-toi utile, au lieu de rester planté là comme un con ! 
Oui, bien sûr. Je retourne m’habiller, puis file vers la porte d’entrée :
 - Je vais chercher du secours !   
Elle est retournée dans la pièce, je l’entrevois penchée sur Bob. Elle me crie :     
 - Il y a le téléphone dans la cuisine ! Sinon, prends mon portable, dans mon sac…  Appelle le Samu !
Mais je commence à en avoir assez, de cette histoire. Je ne sais pas à quel moment j’ai décidé que j’appellerais avec mon propre portable, une fois sorti d’ici. Je l’ai donc ignorée et j’ai poursuivi ma course.
Je me retrouve dans la rue, je ne suis pas spécialement fier de moi. Mais c’était un moment très agréable et après tout, il semble qu’elle aussi en ait eu envie - alors, hein…! 



Adieu collines - poème d'Estelle Sciortino

Dans de grands champs de visions, je chassais l'élan Sûre qu'un jour, mon nom se pendrait à l'horizon Je me disais...