lundi 28 janvier 2019

Elise attends-moi - nouvelle de Sophia Alexandra Suarès




- Elise attends-moi !
- Où es-tu maman ?
- Je suis là.
- Je ne te vois pas.
- Mais moi, je te vois. Je te vois sur ton vélo rouge, avec ton petit manteau vert et tes bottes en caoutchouc. Tes cheveux longs et blonds virevoltent dans le vent. Tu files comme un éclair, droit devant, sans voir et sans savoir où tu vas. Il faut que tu t’arrêtes. Je suis inquiète.
- Non maman. Ce n’est pas moi. Ce n’est plus vraiment moi.
- Mais si. Que dis-tu là ma fille !
- J’ai les cheveux courts, bouclés et roux. Un visage qui n’est plus aussi lisse, quelques rides au coin des yeux et, je pense, un peu plus de sagesse et de raison.
- Peu importe, pour moi, qui tu es. Tu es ma fille et tu resteras telle. Le reste, je ne veux pas le savoir. - Toujours est-il que j’ai besoin de toi.
- Oui, maman. Que veux-tu ?
- Que tu sois là tout le temps pour moi. Que tu fasses ce que je veux. Que tu m’obéisses. Et c’est bien normal. Je t’ai portée dans mon ventre pendant plus de neuf mois. Je t’ai élevée. J’ai sacrifié ma vie pour toi et tes frères. Tu me dois ta vie, comme je l’ai donnée à ma mère.
- Maman, si je ne fais pas ce que tu veux, je sais, tu me perds. Mais si je fais ce que tu veux, je m’oublie et je me perds moi-même. JE NE VEUX PAS DE ÇA ! Je ne t’ai pas obligée à donner ta vie pour moi, ni même demandé de le faire. N’oublie pas tu m’as voulue - ou peut-être pas vraiment… Seulement je ne suis pour rien dans tes choix ou dans tes non-choix. Le problème est que je ne suis plus comme tu l’aurais voulu : obéissante et soumise. J’ai oublié de te dire : je ne suis plus une enfant.
- Non, ce n’est pas vrai.
- Maman, je ne t’écoute plus. J’entends à présent une autre voix crier.
- Elise, Elise, Elise !
Il me semble reconnaître cette voix masculine.
- Qui est là ?
- Je ne sais pas qui je suis ou je ne le sais plus. A force de me taire et d’obéir j’ai oublié que je pouvais être quelqu’un. Tout le temps cette impression de n’être qu’une chose. Je me laisse envahir par le brouillard car je ne peux plus penser. Je ne veux plus. C’est trop difficile ! Et cela serait une trop grande souffrance que de voir cette réalité qui m’enlève à moi-même. Je veux fuir. Malheureusement, j’ai perdu sur le chemin de la vie mes envies, mes droits, mes obligations. A présent, je suis vieux. Tous ces mots sont maintenant vides de sens. Je les ai oubliés. Ou peut-être, n’ai-je jamais compris le sens de ces mots, le sens de la vie… de ma vie.
- Je te reconnais, il me semble. Cette voix, ce visage creusé ne m’est pas inconnu, ce corps tout maigre et vouté. Oui. Je me souviens d’un proche qui te ressemblait. Ne serais-tu pas mon père ?
- Oh ! J’entends qu’on m’appelle. Je dois partir.
Après ce court dialogue, le voila de nouveau parti… Il apparaît puis repart dans le monde qu’il s’est créé pour ne plus être.
Voilà qu’on m’appelle aussi. C’est mon mari. Et là encore, je fonce sans voir ni savoir où je vais. D’ailleurs, sait-on ce qui nous attend ? Ce qui m’importe c’est le chemin, car la destinée on la connait.



3 commentaires:

  1. Belle histoire. La nostalgie est une des choses qui nous éloignent le plus de notre être profond.

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  3. Nathalie Frieden4 février 2019 à 01:04

    Très émue par cette histoire qui nous parle de nostalgie mais pas que. Il est pour moi ici aussi question de sentiments profonds ancrés dans l’inaltérable .

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Adieu collines - poème d'Estelle Sciortino

Dans de grands champs de visions, je chassais l'élan Sûre qu'un jour, mon nom se pendrait à l'horizon Je me disais...