mardi 30 avril 2019

La Pédophilie dans la littérature. Comparaison La Tanche/Lolita. Par Joachim Garcia





   



AVERTISSEMENT : Nous avons groupé ici quelques notes, dont certaines concernent un sujet délicat, objet de discussions bien souvent bruyantes et oiseuses, que suscitent généralement des obsessions malsaines : la pédophilie dans la littérature. Avant toute chose, comprenons-nous bien : il ne sera pas ici question des actes réels, commis par des malades mentaux sur des enfants innocents, mais uniquement de littérature…

Nous nous proposons de comparer deux grands succès, l’un sorti voici à peine deux ans : La Tanche, d’Inge Schilperoord, et l’autre publié en 1955 : Lolita, de Wladimir Nabokov !  



De prime abord, deux constats :

Lolita, pour le lecteur moyen d’aujourd’hui, paraît beaucoup plus choquant que La Tanche.

Pour faire accepter son « héros » pédophile, Inge Schilperoord en a fait un homme d’une intelligence inférieure à la moyenne, qu’on ne peut s’empêcher de plaindre et de mépriser un peu, un personnage terne et immature, flanqué d’une mère abusive et alcoolique à laquelle il se soumet corps et âme, et le drame de sa vie se joue dans une banlieue sordide et brûlante, au cours d’un été poisseux, dans un milieu extrêmement modeste, pour ne pas dire misérable. La romancière psychologue a beau suivre chacune des pensées de son héros, et chacun de ses gestes, afin de susciter l’empathie, le style de La Tanche est froid, presque clinique, on a l’impression de regarder une bête blessée dans un microscope. Pour tout dire, Inge Schilperoord a créé un personnage qui ne peut qu’être considéré comme un inférieur par n’importe quel lecteur.

Le héros et narrateur de Lolita, Humber Humbert, est quant à lui un homme très cultivé, d’une intelligence largement supérieure à la moyenne. Le ton qu’il prend pour s’adresser au « lecteur » (qu’il harangue régulièrement) est badin, spirituel, imprégné d’humour anglais ; ses monologues s’adressent à un égal, et certainement pas à quelqu’un qui prétendrait user de condescendance à son égard.  




Nabokov se voyait avant tout comme un artiste. Or, qu’était-ce qu’un artiste, selon la définition de l’écrivain russe américain ? Un Enchanteur, ni plus ni moins.

Qu’est-ce qu’un Enchanteur, selon Nabokov ? Une sorte d’architecte-magicien.  

Pour Nabokov, deux choses comptaient, plus que tout : Structure, et Style – exactement comme pour l’architecte.

L’Enchanteur bâtit des palais de féérie, dans lesquels le lecteur se promène. Le bon lecteur doit être capable d’en apprécier lucidement  l’esthétique, exactement comme le fait l’admirateur raffiné de quelque édifice majestueux, et non se contenter de s’abandonner à ses émotions et réflexes conditionnés tels que : s’identifier aux personnages, trembler ou frissonner, ou encore se plaindre que l’histoire ne soit pas assez édifiante.

Dans ces conditions, on comprend que l’accusation d’immoralité (si fréquente, hélas, et toujours si grotesque) ait pu donner à Nabokov le sentiment d’être incompris. L’artiste choisit de susciter des enchantements à partir d’un sujet original et choquant, tel que les amours d’un quadragénaire et d’une fillette, mais on ne doit pas s’en formaliser davantage que des arrangements baroques de quelque architecture savante, ou s’en étonner plus que de l’anatomie surprenante de l’hermaphrodite du musée du Louvre. 

Malentendus, malentendus !





La Tanche est une sorte de drame psychologique, réaliste et symboliste à la fois. L’image du poisson, qui se meurt tandis que le héros cède à ses démons, est assez significative.

Le projet d’Inge Schilperoord semble être d’amener son lecteur à comprendre ce qui motive les agissements d’un délinquant sexuel, qui relèvent de la pathologie, et d’une certaine manière à le plaindre et  à lui pardonner, plutôt que le considérer comme un monstre, solution de suprême et rassurante facilité que choisit généralement l’homme de la rue, cédant à l’angoisse et à l’entraînement des masses.  Inge Schilperoord semble s’excuser à chaque page d’avoir choisi un sujet aussi scabreux. Sa générosité, son souci d’humanité sont, toutefois, remarquables, mais on remarquera qu’à notre époque, le souci de l’art reste subordonné à des préoccupations qui sortent de son cadre.



On peut s’amuser à trouver, malgré tout, des points communs entre Jonathan et « Humbert Humbert. » La Tanche est avant tout l’histoire d’une mère abusive, qui a tracé un « cercle magique » autour de son fils, comme dit Kundera dans La Vie est ailleurs à propos de son Jaromil, autre grand névrosé de la littérature. Sa mère le traitant comme un petit garçon, il n’est peut-être pas étonnant que Jonathan soit resté bloqué dans une impossible enfance, et rêve encore d’amours enfantines, qui n’ont plus rien d’innocent… Quant à « Humbert Humbert », Nabokov lui fait faire une fixation sur un amour adolescent inassouvi, contrarié par la mort et par la famille… Traumatisme qui serait à l’origine de son obsession pour les « nymphettes. »

C’est à chaque fois l’obsession de l’éphémère, de l’inassouvissement qui provoque la névrose, matière principale du Romanesque, qu’il se drape de réalisme comme dans La Tanche ou se pare d’humour noir et d’inadmissible poésie comme dans Lolita






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