dimanche 20 janvier 2019

Les Plaintes du Minotaure - poème de Jérémy Gouty


 












Minotaure souffre bien de sa double nature.
N’étant pas décidé à mourir pour autant,
Il refuse de tenter la funeste aventure
Que lui conseillent de très nombreux charlatans. 

D’après les magiciens et selon les psychiatres
Gonflés de phrases vides, gorgés d’émoluments
Minotaure échapperait enfin aux tourments
Dont il hérita de sa cruelle marâtre

En laissant l’insipide Thésée s’emparer
De sa plus belle corne à la pointe acérée
Pour la lui enfoncer dans son cœur tout bruissant
De colères et laver sa folie dans son sang.

Retranché, seul et grave, dans son vieux labyrinthe
Minotaure est pensif ; il arrive d’ailleurs 
Qu’il sanglote en songeant à ces gens qui éreintent 
Sans pitié un pauvre homme dont ils savent les pleurs ! 

- Car oui, je suis un homme, dit-il, pas un taureau :
Vous m’accusez sans cesse de faire le Mal
Or comment pourrait-on juger sales, immoraux
Les instincts d’un vulgaire et stupide animal ?

Mais vous croyez donc que c’est moi qui ai choisi 
De naître dans ce corps ô combien disgracieux
Habité de désirs jusqu’à la frénésie
Me condamnant à ne jamais revoir les cieux ?

Enfermé nuit et jour dans cet affreux dédale
Je ne peux que maudire le jour six fois fatal 
Où mon père, ce bovin, séduisit la damnée
De la matrice de qui, par malheur, je suis né !

Vous pressant dans vos temples ou bien dans vos églises
Vous y allumez fort dévotement des cierges
Mais mon seul cloître à moi, Minotaure, c’est Elise,
Clara ou Pénélope, ou n’importe quelle vierge !

Est-ce de ma faute si, pour vivre la jouissance
Il me faut égorger savamment au matin
La jeune fille dont vous regretterez l’absence ?
Pour moi elle n’est jamais qu’une précieuse catin !

Cependant je ne peux sans regrets assouvir
Mes besoins sanguinaires, et ça me fait souffrir
De devoir nuit et jour avec rage lutter
Contre le démon de la Culpabilité !

Et ma Conscience et moi entamons une lutte
Epuisante bien plus que la marée furieuse 
Ne l’est pour les marins, car sa voix impérieuse
Tâche en moi d’étouffer la mâle voix du rut !

Hélas ! La bête en moi triomphe et se réveille
Chaque soir en versant des flots de sang vermeil
Car de sexe et de mort, j’ai faim et je suis ivre  
N’aurais-je pas pourtant acquis le droit de vivre

Quand ma mère amoureuse d’une bête à corrida
S’offrit à ses désirs sur le foin d’une étable
A l’heure où, dans l’Olympe, les dieux ivres s’attablent…
Une coupe à la main, Jupiter décida

Qu’une femme zoophile devait donner le jour
A un enfant maudit, enfermé pour toujours !
Né de l’atroce folie d’une plaisanterie
Pourrais-je être aujourd’hui un aimable mari ?



6 commentaires:

  1. J'adore les poèmes à mythologie ( moi même adepte de la thématique ) ... Quel courage , et brio, d'avoir traité celui-ci tout en alexandrins !

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  2. Merci, chère Delphine ! J'aimerais beaucoup lire vos propres écrits sur le sujet

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  3. Je n"'ai pas écrit sur le Minotaure; ma partie c'est Asteria, Mélusine; Perséphone, Isis, Mandragore ou bien Babayaga ... choisissez , je vous enverrai un texte :)

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    1. Vous pouvez m'adresser un texte sur n'importe laquelle d'entre elles - quand je disais : vos propres écrits sur le sujet, j'entendais : la mythologie, et pas forcément : le Minotaure.

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    2. Je prends note ... et recherche dans mes textes :)

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  4. Beau et profond poème, je trouve.

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