mercredi 8 mai 2019

« Les Epaves » : Le précieux témoignage de Pauline de Flaugergues. Par Paul Tojean





Son ouvrage Les épaves paru en 1873 et dédié à son amie George Sand demeure un précieux témoignage de l’écrivain au cours de cette triste période de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Son père, Pierre-François Flaugergues, fut président de l'administration centrale de l’Aveyron en 1792, premier sous-préfet de Villefranche-de-Rouergue, nommé le 2 mars 1800, mais en est destitué en 1810. Il est désigné député de l'Aveyron en 1813, siégeant dans l'opposition. Il est l'un des initiateurs du vote de déchéance de Napoléon, le 3 avril 1814, ce qui lui vaudra très vite de nombreux ennuis, notamment financiers…


 « Ah ! ne me parlez pas de fuir cette retraite/Ah ! ne me dites plus que ces lieux sont déserts/.Ici tout me le rend ; ici son vœu m’arrête/C’est encor notre Eden, c’est tout mon univers. »  (Les Bruyères).

Bien plus, bien mieux que les manuels scolaires, Les Épaves(1) de Pauline de Flaugergues(2), écrivain et poète romantique relatent des faits réels et portent un étonnant témoignage de cette triste période de la guerre de 1870-1871.
La peur, l’humiliation, les privations, les réquisitions, les massacres, l’occupation des lieux et des habitations par les Prussiens étaient déjà à cette époque le lot quotidien des Français. Le récit, paru en 1873, débute comme une longue lettre à destination de George Sand (3) : « Madame, voici quelques pages dont vous ferez ce que vous voudrez. C’est la relation bien simple des événements ou plutôt des émotions qui ont rempli quelques mois de ma vie » écrit Pauline de Flaugergues à son amie de Nohant. Les faits remontent au début de ce conflit, en juillet 1870. Après deux sanglantes défaites, « le sol français est foulé par les bottes prussiennes ». L’ennemi petit à petit envahit les provinces. Son arrivée imminente à Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine) provoque l’exode de tous les habitants. « C’était un spectacle attristant que celui que présentaient ces localités silencieuses avec leurs boutiques fermées, leurs maisons barricadées… » écrit la muse ruthénoise qui décide de rester dans son ermitage, à Aulnay. « Là se trouvaient réunis une foule d’objets chers à mon souvenir des livres au nombre de…4 000 volumes dont beaucoup m’étaient particulièrement précieux… » Ce lieu, ce havre de paix était la demeure de son mari Henri de Latouche, disparu en 1851. «Moi aussi, je mourrai où je me suis attachée » affirme-t-elle.
 

Une infirmerie et une chambre d’officier ! Prenant son courage à deux mains, elle conçoit dans un pavillon attenant, une infirmerie comprenant deux lits de soldats et à l’étage, une chambre d’officier ! Mais sur les instances de son amie, elle doit se résoudre à partir et rejoindre le couvent des Dames de la Retraite, à Paris. Malgré ses nombreuses tentatives pour regagner sa chaumière, Pauline de Flaugergues reste en demeure jusqu’à ce que le toit de sa chambre s’effondre sous un bombardement. Après quelques nuits passées dans le sous-sol, elle part « résolue et bien assurée » découvrant sur son chemin solitude, soldats en déroute et maisons en ruines… « Partout la vue était attristée par ces uniformes étrangers ; partout les longues capotes brunes et les casques pointus des Prussiens… Je pleurais de tristesse et je savais bon gré à la nature d’être aussi triste comme moi et de se montrer maussade à nos envahisseurs… » L’écrivain fera plus tard ce constat : « Dans plusieurs propriétés… les Prussiens… ont laissé intactes les provisions de bois de chauffage tout préparé, pour briser et jeter dans les foyers des meubles, des portes, des planches de bibliothèques, de pianos, même souvent des livres et des tableaux. » C’est ainsi qu’elle découvre l’état de sa maisonnette à Aulnay : « une espèce de grande cage sans portes, sans fenêtres, sans escalier, sans plafond, ni plancher, enfin rien qu’un toit et des murs troués… » En attendant, Pauline de Flaugergues passe ses journées et souvent ses nuits, dans la chapelle au cimetière de Châtenay où se trouve le tombeau d’Henry de Latouche. Elle y vit, écrit et médite. C’est grâce à de généreux donateurs, dont Alexandre Dumas, fils ; Jules Simon, ministre de l’Instruction publique, ou encore la princesse Mathilde que Pauline de Flaugergues peut se réinstaller dans la villa, à Aulnay, ravivant encore plus fort le souvenir du poète Henri de Latouche qui écrivait : « Il est beau mon manoir dans sa rusticité ! » Après la disparition de Pauline de Flaugergues, en 1878, cette maison deviendra la propriété d’Armand Sully Prudhomme. 


(1) Bernard Combes de Patris « Une muse romantique, Pauline de Flaugergues  et son œuvre ». En librairie et sur internet. (2) Pauline de Flaugergues est née à Rodez en 1799 et décédée à Aulnay en 1878. (3) Dans « Dernières pages » (Calman Lévy, 1877) George Sand consacre dans la deuxième partie de son ouvrage un chapitre d’une vingtaine de pages, intitulé « Mes campagnes, par Pauline de Flaugergues ». Elle relate la vie et l’œuvre de son amie ruthénoise. Toutefois, George Sand regrette que Sainte-Beuve ne lui ait pas ouvert « son inimitable galerie de ses portraits littéraires et philosophiques. » 





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