François Busnel a terriblement envie d’être aimé, comme tous les animateurs de télévision. Ce besoin le ronge
littéralement. Cette maladie dont les symptômes nous sont fort bien connus est
en train de le perdre, comme elle perd chacun de ses collègues. Bien entendu,
animant une émission dite littéraire, FB n’a pas pu, et ne pourra jamais
sombrer dans les abîmes de vulgarité, de démagogie, de racolage putassier qui
depuis longtemps ont englouti les animateurs de télévision dite populaire (soit dit en passant, quel
gros mot et quelle insulte au peuple !). Mais sa fameuse émission, La Grande librairie, n’en est pas moins
en train de devenir insupportable, d’une manière incomparablement plus subtile.
Avant toute chose,
précisons-le : je trouve François Busnel fort sympathique. Voici un an ou
deux encore, ma compagne et moi regardions La
grande librairie sur la cinq, tous les jeudi soir – la seule émission de
télé que je fusse capable de supporter jusqu’au bout. C’était même devenu un
rituel : ayant dîné, nous prenions place sur notre canapé, comme de paisibles Français moyens, et assistions, un peu engourdis par la digestion, aux prouesses promotionnelles
des auteurs invités chez FB (en réalité, nous étions mus chacun par des
motivations différentes, et plus ou moins avouables : la femme qui partage
ma vie me confia un jour qu’elle trouvait François Busnel fort séduisant magré sa manie de s'habiller toujours de la même façon, quant à moi je prenais
plaisir à critiquer méchamment les invités). Mais déjà quelque chose, dans le
comportement de Busnel, suscitait en moi le malaise.
L’écoutant qualifier de « génial »
chacun des auteurs qu’il reçoit, le
regardant caresser leurs égos bien souvent monstrueux dans le sens du poil, exactement comme
on flatte le dos d’un gros chien, j’avais douloureusement pitié de lui. FB a l’impression
d’être aimé par les auteurs qu’il reçoit parce qu’il nourrit leur vanité, me disais-je ; il se
fourvoie terriblement s’il croit que les sourires d’autosatisfaction qu’il fait
naître à coups de compliments hyperboliques lui sont destinés -ce sont des sourires de jouissance, adressés à quelque miroir imaginaire et flatteur. Probablement est-il conscient de tout
cela – je suis persuadé qu’il n’est pas un idiot. Mais son besoin de plaire,
qui tient de l’histrionisme pur et simple, est plus fort que tout.
Je me rends compte à présent que ce pathologique besoin d'être aimé a d'autres conséquences, bien plus néfastes. Il pousse notre animateur à faire partie des gens qui contribuent le plus aujourd’hui à dévaluer la notion
même d’écrivain et de littérature !
Un exemple. Voici une semaine
ou deux, FB recevait Jacques Tardi, le fameux auteur de bandes dessinées. A plusieurs
reprises, FB l’a qualifié « d’écrivain », avec une obstination tendancieuse, puis « d’écrivain
sachant dessiner », ce qui nous semble encore plus déplacé. Comprenons-nous
bien. Loin de nous l’idée de mépriser la bande dessinée. Nous devons
quelques-uns de nos souvenirs d’enfance les plus chers à Popeye, Tintin, Spirou, etc. Mais nous l'affirmons :
en qualifiant Tardi « d’écrivain qui
sait dessiner (sic) », Busnel ne hausse pas la bande dessinée, comme
il en avait probablement l’intention, au niveau de la littérature, il rabaisse la littérature, et méconnait au passage la spécificité de ce mode de narration très
particulier qu’est la bande dessinée. Isolez, dans une BD, les textes des
images, ils paraîtront insipides et dépourvus de sens ; la narration se
fait principalement au moyen du dessin (lequel dessin ne signifie rien par lui-même), comme le disait Hergé, l’un des
inventeurs du genre. Dire de Tardi qu’il est « un écrivain sachant
dessiner », comme si cette compétence de dessinateur le mettait au-dessus
des « autres écrivains » revient à rabaisser ceux-ci en sous-entendant que
s’ils ne dessinent pas, et se contentent de remplir des volumes entiers de
leurs pattes de mouches, c’est par impuissance… Ce qui équivaut à oublier ce qui
fait l’essence de toute littérature, écrite ou orale, depuis la nuit des temps, et la vocation de tout conteur : réussir à faire naître des images dans l’esprit des hommes par le seul pouvoir des mots !
En cherchant à être « bienveillant »,
et à défendre cette forme hybride de narration par l'image, admettons-le, parfois
un peu trop méprisée par les snobs qu’est la bande dessinée, le gentil François Busnel jette ainsi
le trouble dans l’esprit des téléspectateurs ignorants… nous prouvant, une
fois encore, le bien-fondé du fameux
adage : l’enfer est pavé de bonnes
intentions.
J'aime François Busnel quand il gigote sur son siège et qu'il dit "Et alors !". Mais ces derniers temps, je finis par faire dodo devant son émission. Parfois, il m'arrive encore d'avoir quelques sursauts d'attention quand un sujet m'intéresse et que l'auteur présente son livre de façon énergique.
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